Les relations compliquées entre Google et les éditeurs de presse viennent de connaître à nouveau un épisode compliqué.
Le 13 novembre dernier, Google a annoncé dans un billet de blog le lancement d’un test A/B sur 1% des utilisateurs de Google, dans certaines versions européennes de Google.
Voici comment ils présentaient les choses :
Dans ce contexte, des autorités administratives indépendantes et des éditeurs de presse nous ont demandé plus d’informations quant à l’impact de l’affichage des contenus d’actualité dans notre moteur de recherche sur l’utilisation des produits de Google. Afin répondre à cette demande, nous mènerons une expérimentation limitée dans le temps, qui consistera à exclure le contenu des éditeurs de presse européens des résultats affichés sur Google Actualités, Google Search et Discover pour un échantillon de 1% des utilisateurs en Belgique, en Croatie, au Danemark, en France, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne et en Espagne. Nous continuerons d’afficher les résultats d’autres sites web, y compris des éditeurs de presse basés en dehors de l’Union européenne. Ce test nous permettra d’évaluer l’influence de l’affichage du contenu des éditeurs de presse européens sur l’expérience de recherche de nos utilisateurs et sur le trafic que Google renvoie vers les éditeurs.
Sulina Connal, Managing Director News Partnerships chez Google
Vous trouverez le communiqué ici :
On ne sait pas exactement à ce stade qui sont ces « autorités administratives indépendantes » ou les éditeurs de presse qui ont demandé des informations complémentaires.
Ce qui est certain, c’est que le recours à la suppression des sites de presse de ces pays de Google News, Search et Discover, même pour un 1% des utilisateurs, a déclenché les foudres du SEPM, le Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine.
Le SEPM a saisi en urgence le Tribunal de Commerce de Paris
Saisi en urgence par le SEPM, le Tribunal de Commerce de Paris a statué le 13 novembre 2024, quelques heures après le communiqué de Google, et a interdit à Google LLC, Google Irlande, et Google France de mener ce test « sous peine de devoir payer une astreinte de 300 000 euros par jour ».
L’affaire sera jugée au fond un peu plus tard, en attendant, Google a choisi de ne pas mener cette expérimentation en France. Ce test A/B sera par contre mené dans les autres pays prévus.
La rémunération des éditeurs de presse et les droits voisins : un sujet ultra-sensible
La réaction immédiate du SEPM est surtout l’illustration de la grande défiance des éditeurs de presse européens envers Google. Une défiance qui est également forte en France, avec deux particularités qui créent un terrain plutôt conflictuel :
- l’Etat Français et ses institutions interviennent beaucoup plus souvent en faveur des éditeurs de presse que dans d’autres pays
- et les éditeurs sont (globalement) plutôt alignés dans l’attitude à tenir vis à vis des GAFAM en général et de Google en particulier.
Déjà, en mars 2024, l’autorité de la Concurrence avait prononcé une sanction contre Google de 250 millions d’euros pour ne pas avoir respecté des engagements sur les droits voisins et la rémunération des éditeurs de presse pris en 2022.
Ces engagements faisaient suite à la loi de 2019 régissant les droits voisins.
L’autorité de la Concurrence avait notamment noté le manque de transparence de la firme de Montain View avec le cabinet mandaté pour suivre et contrôler le respect de ses engagements, mais aussi le nom respect des principes suivants :
- conduire des négociations de bonne foi, sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminatoires dans un délai de trois mois (engagements n°1 et 4).
- transmettre aux éditeurs ou agences de presse les informations nécessaires à l’évaluation transparente de leur rémunération au titre des droits voisins (engagement n°2).
- prendre les mesures nécessaires pour que les négociations n’affectent pas les autres relations économiques existant entre Google et les éditeurs ou agences de presse (engagement n°6).
Il semble que le test de Google était destiné à mieux mesurer l’impact du retrait des éditeurs de presse de ses services.
Mais clairement, le SEPM a craint que les réelles intentions de Google étaient de démontrer que le trafic de Google dépend peu des éditeurs de presse, alors que les sites de presse sont eux très dépendants des revenus tirés directement ou indirectement du trafic apporté par Google. Ce qui sape l’argumentation sur la nécessité de rémunérer les éditeurs de presse.
Pour expliquer la vive réaction du SEPM, rappelons aussi que Google a pris l’habitude dans d’autres pays de retirer les sites de presse pour les faires rentrer dans le rang quand ils ont eu l’outrecuidance de réclamer une juste rémunération.
C’est arrivé :
- En Belgique en 2011 et 2012 : https://www.euractiv.fr/section/societe-de-l-information/news/les-journaux-belges-retires-de-google-news-fr/
- En Espagne en 2014 : https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/12/11/32001-20141211ARTFIG00304-en-guise-de-represailles-google-ferme-son-service-d-actualite-en-espagne.php
- Google News est réapparu en espagne en 2021
- En juin 2023, au Canada : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/06/30/google-menace-de-retirer-les-liens-vers-les-medias-canadiens-de-ses-plates-formes-d-actualite_6179956_4408996.html
- En 2021 en Australie : https://www.lapresse.ca/affaires/techno/2021-01-22/google-menace-de-quitter-l-australie.php
- etc.
Dans ce contexte, le moindre retrait de sites de presse en France, même pour un 1% des utilisateurs, est véritablement un chiffon rouge qui ne pouvait pas laisser les éditeurs de presse français indifférents.
Le jugement sur le fond dans quelques semaines sera probablement intéressant à suivre…