Six mois après avoir annoncé le nième report de la fin des cookies tiers sur Chrome, Google peine de plus en plus pour convaincre l’écosystème de la publicité en ligne de la pertinence de son alternative aux cookies, la « Privacy Sandbox ».
De plus en plus de voix s’élèvent au contraire pour révéler l’impact que ce changement pourrait avoir pour les revenus des annonceurs.
Récemment, c’est Critéo qui a jeté un beau pavé dans la mare en publiant les résultats de ses tests.
Le protocole de test, et l’échantillon (18000 clients de Critéo, 1200 éditeurs de sites, et 100 millions d’affichages hebdo) rendent les conclusions très crédibles. Cette étude était au départ destinée au CMA, l’autorité de la concurrence du Royaume Uni, qui est très active sur le sujet, bien plus que ses homologues US ou européens.
Vous trouverez tous les détails ici :
https://www.criteo.com/blog/privacy-sandbox-testing-results-show-shortfalls-to-meet-cma-requirements/
Google annonce publiquement sur le site de la Privacy Sandbox que le calendrier d’abandon du support des cookies tiers dépend de la CMA au UK !
Les conclusions de Critéo
Voici les conclusions du rapport transmis au CMA par Critéo
La première conclusion clé de Criteo est que si les cookies tiers étaient abandonnés aujourd’hui et que le Privacy Sandbox était publié dans son état actuel, nous nous attendons à ce que les revenus des éditeurs diminuent en moyenne de 60 % pour ceux qui ont entièrement intégré le Privacy Sandbox. L’adoption globale des éditeurs reste inférieure à 55 %.
Deuxièmement, la version actuelle du Privacy Sandbox constitue également un avantage pour l’activité publicitaire de Google. Nos tests ont montré que Google Ad Manager (GAM) captait la majorité des dépenses de la population traitée, soit une augmentation de la part de marché de 360 % : de 23 % à 83 %. Cela démontre une augmentation significative de la dépendance des éditeurs à l’égard de Google pour les revenus publicitaires.
Troisièmement, nous avons observé une augmentation médiane de plus de 100 % de la latence dans le rendu des publicités des éditeurs sur le trafic Privacy Sandbox. La latence a un impact négatif sur l’expérience client en raison des longs temps de chargement des pages. Les revenus des éditeurs sont également affectés en raison de la dégradation de la visibilité, des taux de clics et du prix par espace publicitaire.
Enfin, nous observons que les résultats des différents acteurs du secteur peuvent varier en fonction des méthodologies de test utilisées par les entreprises. En outre, Criteo a identifié quatre biais potentiels qui, s’ils ne sont pas atténués, peuvent fausser les résultats des tests et montrer à tort des performances plus favorables du Privacy Sandbox.
Google a déjà répondu que :
- le test ne portait que sur une seule plateforme DSP (Critéo)
- le test a été fait sur un nombre d’impressions limité
- et de toute façon, la Privacy Sandbox, par construction, ne peut pas fonctionner comme les cookies tiers ou les ID
Le dernier argument n’en est pas un, car il souligne juste le fait que Google a abandonné l’idée de produire une solution alternative dont l’impact ne serait pas majeur pour la publicité programmatique.
Et manque de chance pour Google, un autre acteur a également sorti sa propre étude.
Critéo n’est pas le seul acteur à avoir alerté sur les failles de la solution de Google
L’étude de Criteo se rajoute à toute une série de remontées négatives de la part des acteurs de l’écosystème.
En février, les équipes du Tech Lab de l’IAB (l’Interactive Advertising Bureau) avaient publié ce communiqué de presse :
Les critiques portaient surtout sur des aspects techniques, mais le réquisitoire, sous le langage feutré, est sans appel : cette alternative aux cookies tiers n’est pas convaincante.
Index Exchange a publié aussi ses résultats
L’un des contre arguments de Google était donc de souligner le caractère isolé de l’étude de Critéo, sur un échantillon faible d’impressions.
Oui mais voilà, Index Exchange a aussi publé ses résultats le 2 juillet 2024 :
https://www.indexexchange.com/2024/07/02/insights-privacy-sandbox-testing
Et là, il s’agit d’un test effectué sur 10 DSP différentes et les tests ont été effectués sur un un échantillon encore plus large.
Les résultats confirment les points soulevés par l’étude de Critéo. Selon l’étude d’Index Exchange, les CPM observés ont été inférieurs de 33% à ceux du groupe de contrôle.
Et il y’a bien un problème de latence excessive :
Une campagne de séduction de la part de Google
Du côté de Google, on enchaine les déclarations rassurantes :
- certains points sont en voie de correction
- dans la phase actuelle, ils sont à l’écoute des retours des acteurs de l’écosystème
- et ils travaillent dur pour créer le meilleur système possible.
Ils ont recruté il y’a quelques mois un vétéran de la technologie publicitaire pour arrondir les angles et faire passer « le bon message » aux acteurs. Et apparemment, Google s’est montré ces dernières semaines beaucoup plus réactif et ouvert aux retours de tous les acteurs, même les plus petits.
Mais est-ce que cela va suffire ? Rien n’est moins sûr…
Vers un nouveau report de la fin des cookies tiers ?
Google peine clairement à convaincre les acteurs de la publicité de l’inocuité et de la pertinence du changement.
Mais, et c’est sutout là que le bat blesse, les autorités de la concurrence et les CNIL européennes ne sont pas non plus convaincues que la Privacy Sandbox coche toutes les cases pour être considérée comme conformes à la législation et respectueuse des marchés impactés.
Côté RGPD, on est face à un système qui est un peu moins critiquable que les cookies tiers, mais l’amélioration est loin d’être spectaculaire, et il y’a des chances que les CNIL européennes retoquent le dispositif.
Côté impact économique, les révélations de Critéo montrent que la Privacy Sandbox représente un risque de pertes de revenus importants pour les éditeurs. Dans des proportions qui auront forcément des conséquences sur leur survie. En l’état, ce n’est pas acceptable.
Le problème c’est que les deux objectifs (Privacy et préservation des intérêts économiques de l’écosystème publicitaire) sont difficiles à concilier.
En l’état, le « statu quo » arrange tout le monde. C’est à dire la possibilité d’utiliser les cookies tiers sur Chrome. Et même Google peut se satisfaire de cette solution.
Tant qu’aucune solution de compromis n’aura été trouvé, il y’a de fortes chances que la fin des cookies tiers soit repoussée à une date encore plus lointaine que maintenant, c’est à dire, au delà de 2025…