Il y’a quelques semaines, Daniel Waisberg, un ingénieur de Google a fait un effort tout à fait louable : il a publié un article sur le blog développeurs de Google pour expliquer comment on pouvait analyser l’origine d’une perte de trafic SEO en regardant la forme de la courbe d’évolution de ce trafic.
Bon, même si on doit saluer l’effort, et noter que ses conseils sont bel et bien pertinents, l’emploi de la méthode qu’il préconise risque de laisser perplexes pas mal d’entre vous.
Déjà résumer les cas que l’on rencontre à quatre types de courbes seulement, c’est aller un peu trop dans la simplification. Les cas présentés sont un peu caricaturaux. La forme réelle des courbes est beaucoup plus diverses que celles montrées. En plus il n’y a pas d’indications sur les temps mesurés en abscisse : la chute de trafic en U s’observe-t’elle sur quelques jours ou quelques mois ?
Déterminer l’origine d’une perte de trafic est l’une des tâches les plus ardues que doit accomplir un expert SEO, et après dix-huit ans d’expérience, je découvre encore des choses chaque année à ce sujet. Dans beaucoup de cas, pour y parvenir, il faut passer par une véritable analyse approfondie, effectuée avec la plus grande rigueur.
Mais comme tout responsable d’acquisition de trafic se verra confronté un jour ou l’autre à une baisse de trafic, j’ai décidé de vous expliquer en détail la méthodologie qu’il faut utiliser…
Comme cet article est un peu long, il sera publié en deux parties : la première cette semaine, la seconde la semaine prochaine.
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Méthodologie d’identification d’une baisse de trafic
Pour prononcer un diagnostic correct sur les causes de trafic, il faut s’attacher à recueillir TOUTE l’information utile disponible pour pouvoir infirmer ou confirmer les hypothèses que vous allez émettre. Et dans cette phase de collecte, il va falloir vous méfier comme de la peste des biais cognitifs.
Attention aux biais cognitifs
L’un des travers les plus fréquents chez les SEOs c’est de ne chercher que les données qui confirment le premier diagnostic émis. C’est à la fois un exemple de biais de confirmation et biais d’ancrage.
Le biais d’ancrage vous conduira à rejeter inconsciemment toutes les informations qui vont à l’encontre de votre premier sentiment. On dit souvent que la « première impression est souvent la bonne » mais c’est juste scientifiquement faux.
C’est vrai uniquement si votre soit disant impression est en fait une déduction logique issue des premières données auxquelles vous avez eu accès, à condition que ces informations soient justes et que rien ne vienne les contredire.
Il faut donc réserver votre jugement et commencer à émettre des hypothèses sur les causes seulement après avoir terminé la phase de collecte d’informations. Oui, je sais, c’est pratiquement impossible d’empêcher son cerveau de tirer des conclusions immédiates, mais l’idée, c’est de ne pas être aveuglé par le biais d’ancrage.
Quand au biais de confirmation, il vous conduira à rejeter toutes les informations qui viennent contredire vos croyances. Les « croyances » en SEO sont un véritable poison qui contamine les raisonnements, et il faut apprendre à distinguer ce qui relève de la simple croyance ou de l’analyse de faits. Donc si vous dites « je crois que c’est ceci qui est à l’origine de la baisse » alors il vaut mieux vous taire et attendre le moment où vous pourrez dire « je sais que c’est ceci… ». Même si souvent, on a pas de véritables certitudes, et que le résultat des analyses donne plutôt « les seules hypothèses qui tiennent sont la A et la C ». Mais là heureusement on est déjà plus dans la croyance.
Notez-bien qu’il y’a d’autres biais cognitifs qui peuvent empoisonner la qualité des raisonnements : il faudrait presque un livre entier pour développer leur impact sur le champ d’expertise qu’est le SEO.
Les différentes étapes de la méthode
Maintenant que vous avez lu mon avertissement sur les biais cognitifs les plus courants, intéressons nous aux étapes de la méthode d’analyse des données qui permettra d’aboutir à un diagnostic fiable. J’ai l’habitude dans mes formations de la découper en 7 phases.
- Vérifier la réalité de la baisse et l’exactitude de la mesure. Collecter les infos pour votre « enquête ».
- Chercher si des causes externes peuvent expliquer la baisse
- Examiner le trafic et la visibilité : et identifier différentes causes possibles
- Rechercher des patterns : où est la baisse exactement ? Est-elle liée à un template ? A un groupe de pages ? A un groupe de mots clés ?
- Formuler des hypothèses et les infirmer ou les confirmer
- Discuter de vos conclusions avec d’autres personnes
- Construire un plan de récupération du trafic (les analyses c’est bien, mais il faut que cela serve à quelque chose
Dans ce premier article, nous aborderons les 3 premières étapes, la suite sera développée dans l’article de la semaine prochaine…
1. Vérifier la réalité de la baisse
Incroyable mais vrai, quand on me parle pour la première fois d’une « baisse de trafic SEO », il arrive fréquemment qu’un contrôle élémentaire montre que la chute qui inquiète tout le monde est au pire beaucoup moins grave que prévu, et parfois, n’existe pas du tout ?
Comment est-ce possible ?
Les problèmes de mesure dans les outils de Web Analytics
La principale cause de ces « fausses » chutes de trafic vient de problèmes de mesure dans l’outil de Web Analytics. Un tag qui saute sur un modèle de page, un javascript nouveau qui « plante » le beacon, un problème de cookies, et on se retrouve avec un trafic SEO en berne, mais juste dans les rapports de Web Analytics. Car dans les autres outils, parfois, on ne voit rien.
En réalité, il peut y avoir deux cas de figures :
- la mesure ne se fait plus. Dans ce cas, les ventes ou le volume de conversion reste le même, mais le trafic qui mène à ces conversions baisse. Etrange, non ?
- la mesure se fait mal et les visites SEO ne sont plus correctement identifiées:sur GA, il est fréquent de voir que le trafic SEO a « migré » dans le trafic direct, ou dans le trafic referrer.
Le réflexe à avoir est donc de vérifier si la baisse de trafic est confirmée par une baisse proportionnellement équivalente dans les clics du rapport de performance de la Google Search Console. Si oui, la baisse est confirmée, sinon, la baisse est probablement un artefact de mesure.
Une autre façon de vérifier les chiffres des outils de Web Analytics est d’analyser vos logs : filtrer les « hits » en provenance de Google, et comptez-les. Si le volume de HITS mesuré par les logs ne suit pas la même évolution que les sessions SEO de votre outil analytics, c’est qu’il y’a un problème de mesure.
Pour détecter plus facilement les problèmes de mesure en Web Analytics, il est recommandé de laisser une vue non filtrée accessible. Si le trafic non filtré ne baisse pas, mais que les chiffres de vos rapports habituels baissent, c’est dû à un problème de taggage, ou de data layer. C’est embêtant, mais moins grave qu’une « vraie » baisse de trafic.
Quand les chiffres de baisse que l’on vous donne ne collent pas exactement avec les vôtres
Il faut faire attention à bien comparer des mesures comparables et sur des périodes identiques. Quand quelqu’un s’alerte d’une chute de trafic SEO de 16%, il faut lui demander de quel outil vient son indicateur, et sur quelle période. Sinon, vous obtiendrez toujours des chiffres différents. Or il faut absolument travailler sur des chiffres de référence communs bien définis.
C’est vrai aussi pour les outils : savoir sur quel outil on se base pour mesurer la baisse de trafic est essentiel.
A ce stade l’important est d’établir les faits :
- quand le trafic a-t’il chuté ?
- de combien
- quelle a été l’évolution ? Progressive, brutale, en dents de scie descendante ?
2. Chercher si des causes externes peuvent expliquer la baisse
Bon, à présent, vous savez que vos chiffres sont exacts, vous avez identifié le moment où la chute est intervenue et sa dynamique.
Souvent, le biais de confirmation va vous empêcher de regarder du côté de certaines causes. Vous aurez envie d’attribuer la baisse au dernier changement chez Google ou à la dernière modification effectuée sur le site. C’est donc vraiment important de vérifier ces points avant de continuer.
Attention à la saisonnalité
Sur beaucoup de sites, le trafic augmente et baisse progressivement en fonction des saisons ou des périodes de solde. Il est donc intéressant de créer une courbe qui prédit l’impact de la saisonnalité pour voire si une baisse est complètement décorrélée de la saisonnalité. Pour cela il faut disposer d’un historique de plusieurs années. Sinon on peut regarder du côté de Google Trends, même si la précision de cet outil laisse (beaucoup) à désirer.
Comment faire ?
Si votre trafic SEO a baissé de 16% d’une semaine à l’autre, il suffit de regarder de combien en pourcentage le trafic a baissé en moyenne les années précédentes, et de le comparer à la baisse observée cette année sur la même période.
Il faut parfois rendre les données comparables. En 2021, se baser sur les chiffres 2020 pour analyser la saisonnalité pose souvent problème : l’année 2020 a été complètement atypique. Et certains événements continuent de faire « bouger » la saisonnalité, comme le décalage ou l’annulation des périodes de soldes.
Pour effectuer ces correctifs de saisonnalité, il faut donc penser à comparer les périodes de fin de solde 2021 avec les fins de solde 2019 (et non 2020) et de faire attention au fait que les dates ont été décalées.
Attention aux campagnes SEA
Des achats importants de Google Ads vont avoir tendance à faire baisser le trafic organique. Il y’a une réelle cannibilisation entre les clics sur les Google Ads et les clics sur les résultats organiques dans la même page de résultats. Il est donc normal d’assister à une baisse sensible du trafic SEO, observable aussi bien dans les rapports de votre outil de web analytics que dans la Google Search Console.
Pour éviter de s’inquiéter pour rien, il est recommandé d’avoir paramétré et de regarder régulièrement un rapport qui donne le trafic total Search : SEO + SEA. Quand vous lancez une campagne SEA importante, le trafic total doit augmenter, même si le trafic SEO baisse. Si la baisse SEO est supérieure à cette cannibalisation par le SEO, c’est qu’il y’a aussi autre chose qui impacte le trafic négativement. Les rapports Google Ads contiennent suffisamment d’information pour estimer correctement l’impact du transfert de clics des résultats organiques vers le payant, mais aussi de séparer cette cannibalisation d’autres sources de baisse.
Attention à ce qui se passe autour de vous
La crise du Covid a créé quelques cas extrêmes où la baisse de trafic n’était pas du à des changements dans les positions dans Google, mais à une baisse drastique de l’intérêt pour les requêtes menant vers les pages du site. Par exemple, le nombre de requêtes mensuelles menant vers des sites de voyage s’est effondré en mars 2020 !
Il faut penser à vérifier si la baisse de trafic n’est pas due à une perte d’intérêt brutale pour la marque, ou ce que vous vendez ! La source la plus simple pour vérifier cela est le nombre d’impressions reporté dans la Google Search Console. S’il s’effondre sur certaines requêtes, alors que le CTR reste fixe, cela signifie que l’origine de la baisse est extérieure à votre site. Quelque chose se passe autour de vous qui crée un intérêt moindre pour votre contenu. C’est ce qui s’est passé par exemple pour les firmes qui vendaient des GPS lorsque tout le monde a basculé sur des applications sur smartphones comme Waze.
Vérifiez que vous ne baissez pas parce qu’un concurrent monte…
Dans d’autres cas, on peut détecter un concurrent qui lance une grosse campagne télé et qui fait baisser par ricochet les demandes pour votre marque. Ou qui prend des positions en référencement. Dans ce dernier cas, vous n’avez rien fait de mal, mais comme son site est jugé plus pertinent, il récupère une partie de votre trafic d’avant.
Pour détecter cela, il faut utiliser un outil de suivi de visibilité : Myposeo, Ranxplorer, Yooda, SemRush, Sistrix, Searchmetrics etc…
Attention ici aussi aux biais cognitifs : si vous « croyez » que les scores de votre site n’ont pas bu baisser, alors vous allez attribuer la baisse à la montée des concurrents.
En cas de positions perdues au profit de concurrent, le raisonnement marche dans les deux sens : si vos scores baissent, vous perdez des positions au profit de vos concurrents. Si les scores d’un concurrent montent, alors il prendra de meilleures positions que vous et vous fera baisser dans les classements (et perdre du trafic). Heureusement, on peut souvent identifier ce qui se passe vraiment en comparant sa visibilité avec un maximum de concurrents :
- si vous êtes le seul à baisser : le problème ce sont vos scores qui se dégradent. Il est peu probable que l’ensemble de vos concurrents s’améliorent au même moment
- si un seul s’améliore : les mouvements de position sont le résultat du travail de votre concurrent
- si plusieurs concurrents montent dans les classements et d’autres descendent : on a plutôt affaire à un changement algorithmique qui change simultanément les scores de tout le monde
Et si la baisse ne s’explique pas par une cause externe ?
Bon, à ce stade, nous avons bien vérifié la réalité de la baisse. Nous avons quantifié correctement la chute de trafic et de visibilité, et établi sa dynamique. Nous avons analysé l’influence possible de causes « externes » comme la saisonnalité, une baisse d’intérêt pour certaines requêtes, ou le travail d’un concurrent…. Et ces causes externes n’expliquent pas toute la baisse, ou pas du tout.
Du coup, cela signifie qu’il reste à identifier qu’est-ce qui peut expliquer cette baisse et qui soit lié au site lui même…
C’est ce que nous développerons dans le prochain article…