Décidément, l’ADLC a décidé de faire preuve de fermeté vis à vis de Google.
Déjà il y’a quelques semaines nous avions rapporté une précédente sanction infligée à Google sur sa gestion du marché des achats automatiques d’espaces publicitaires sur le web.
Mais voila que l’ADLC sanctionne la firme de Mountain View sur un autre sujet : le respect des droits voisins des éditeurs de presse français.
Les droits voisins : c’est quoi ?
Le droit d’auteur en France est l’une des législations les plus protectrices au monde, notamment sur les droits patrimoniaux, qui sont peu protégés par le Copyright aux USA. Qui plus est, en droit français et européen, la législation prévoit également de protéger la propriété intellectuelle de certaines exploitations jugées illicites. C’est ce qu’on appelle les « droits voisins ». Parmi les droits voisins, figure notamment le droit de copier et d’exploiter des bases de données, qui n’est autorisé qu’à certaines conditions. Mais aussi celui de faire des « revues de presse », c’est à dire de citer des contenus d’éditeurs de presse. Là, c’est possible mais en respectant des conditions très strictes. Or depuis des années, Google télécharge le contenu des sites de presse pour le rediffuser via des services comme Google News ou Google Discover, sans respecter les règles prévues par les Directives Européennes, et sans rémunérer les éditeurs.
Le feuilleton a connu de nombreux épisodes, qui s’étalent sur une quinzaine d’années à présent. Au départ, les sites de presse ont plutôt bien accepté de recevoir un trafic supplémentaire de la part de Google (même si certains éditeurs ont dès le départ jugé le fait accompli imposé par Google au mieux cavalier, au pire illégal). Très vite, le ton est monté.
Google a tenté plusieurs fois de suite de calmer le jeu, notamment en créant des fonds d’aide pour la presse.
Mais plus récemment (en 2019), la grogne des entreprises de presse a pris un tour plus sérieux. Et surtout, le droit est venu renforcer leur position.
Avril 2020 : l’ADLC s’en mêle
En effet, la législation européenne sur les droits voisins a entériné un certain nombre de principes, qui ont eu l’heur d’irriter la firme de Mountain View !
Suite à l’adoption de la n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, transposant la directive n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, Google avait unilatéralement décidé qu’elle n’afficherait plus les extraits d’articles, les photographies et les vidéos au sein de ses différents services, sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l’autorisation à titre gratuit.
L’Autorité de la concurrence avait considéré que ce comportement était susceptible de constituer un abus de position dominante et qu’il portait une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse. Elle avait prononcé, dans l’attente d’une décision au fond, sept injonctions à l’égard de Google. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 8 octobre 2020, et est devenue définitive (Google n’ayant pas formé de pourvoi en cassation).
Google « n’a pas négocié de bonne foi »
Quelques mois plus tard, l’Autorité de la concurrence constate que plusieurs de ces injonctions n’ont pas du tout été respectées par Google.
Quelles sont les injonctions que l’ADLC considère non respectées par Google :
Injonction 1 : l’obligation de négocier de bonne foi dans les conditions fixées par l’article L. 218-4 du CPI et selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires
L’ADLC reproche à Google d’avoir « déplacé » la négociation vers le nouveau service Showcase. Et d’avoir limité drastiquement le champ d’application de l’accord. Mais aussi de de sortir du cadre d’une simple négociation sur une rémunération due dans le cadre des droits voisins.
Injonction 2 : l’obligation de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations nécessaires « à une évaluation transparente de la rémunération due »
Selon l’ADLC, la communication sur ces points a été partielle, et tardive. Et globalement, insuffisante pour permettre une évaluation transparente.
L’injonction 5 : l’obligation de neutralité sur les modalités d’indexation, de classement et de présentation des contenus protégés des éditeurs et agences de presse sur les services de Google au cours des négociations relatives aux droits voisins
Selon l’ADLC : « Google a violé l’obligation de neutralité des négociations que lui imposait la décision de mesures conservatoires en liant la négociation sur la rémunération […] à la conclusion d’autres partenariats pouvant avoir un impact sur l’affichage et l’indexation des contenus des éditeurs et agences de presse ».
L’injonction 6 : l’obligation de neutralité des négociations relatives aux droits voisins vis-à-vis de toute autre relation économique qu’entretiendrait Google avec les éditeurs et agences de presse
Google a lié les discussions relatives à une éventuelle rémunération pour l’utilisation actuelle de contenus protégés à celles relatives au nouveau programme Showcase et à la souscription au service Subscribe with Google (SwG).
Des pratiques extrêmement graves, selon l’ADLC
Dans son communiqué de presse, l’ADLC juge très sévèrement l’attitude de Google.
Le non-respect d’une injonction constitue en soi, une pratique d’une gravité exceptionnelle.
Le comportement de Google relève d’une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect de l’Injonction 1 et apparaît comme la continuation de la stratégie d’opposition de Google, mise en place depuis plusieurs années, pour s’opposer au principe même des droits voisins lors de la discussion de la directive sur les droits voisins, puis pour en minimiser au maximum ensuite la portée concrète.
ADLC
La plus grosse amende jamais infligée par l’Autorité de la Concurrence.
Finalement, Google se voit donc infliger une amende d’un montant record : 500 millions d’euros. C’est la plus forte amende jamais infligée par cette institution depuis sa création.
« Une goutte d’eau dans le chiffre d’affaires de Google » me direz-vous. Certes. Mais amende après amende, pays après pays, l’addition commence à être salée. Au total cette année, l’ ADLC a déjà infligé 720 millions d’euros d’amende à Google. Et l’année n’est pas terminée…